La mer borne La Normandie sur la plus grande partie de ses limites. Les phares éclairent les nuits des zones côtières. Nous découvrons ici que le XVIIe siècle voit la construction du plus ancien qui soit conservé, celui de Goury, et l'un des deux plus grands des côtes françaises.
Implantations des phares sur la côte normande
Jusqu’à la fin du XVIIe siècle nous possédons très peu d’écrits sur les feux qui indiquaient les écueils des côtes normandes. Près du Havre, on parle de la tour des Castillans construite en 1364, nom donné à l’époque où les flottes espagnoles remontaient vers Honfleur. Il y eut probablement quelques phares primitifs, des fanaux, placés à Dieppe, le Chef de Caux ainsi que du côté de Barfleur dans l’actuel département de la Manche.
Au début du XVIIIe siècle, l’approche des côtes normandes était annoncée par les feux des Casquets, puis, au-delà, rien d’autre ne signalait les rochers du Cotentin, ni les falaises de la Côte de Nacre ni celles de la Côte d’Albâtre.
L’amirauté, inquiète de la recrudescence des naufrages, demanda en 1739 à la chambre de commerce de Normandie, située à Rouen, de faire une étude dans le but d’établir des phares sur ces rivages. Ce travail, théâtre d’une polémique quant à l’emplacement, le coût, l’entretien et l’utilité au regard du trafic maritime, dura 25 ans. Car ne l’oublions pas, au xviiie siècle le financement d’un tel projet provenait des taxes prélevées, en fonction de leur tonnage, sur les navires relachant dans les ports normands.
C’est finalement le 11 février 1774 que furent attribuées à des entrepreneurs locaux, les adjudications pour la construction de quatre phares à feux fixes : Monsieur Maurice de Cherbourg, pour le phare de Gatteville près de Barfleur ; Monsieur Desgranges de Dieppe pour le phare de l’Ailly et enfin Monsieur Thibaut du Havre pour les phares de la Hève, deux tours espacées de 81 mètres.
La construction des bâtiments étant établie, il restait un choix important à définir, celui de « l’âme du phare », c’est-à-dire le système d’éclairage dont on devait l’équiper.
Les querelles d’experts reprirent de plus belle et trois procédés se concurrençaient. Il y eut d’abord le fanal que l’on fit venir d’Angleterre pour essais, puis le projet de Monsieur Sangrain qui n’était qu’une adaptation d’un réverbère à huile équipant les rues de Paris et c’est finalement le système « du feu de charbon de terre » qui l’emporte, alimenté par du charbon anglais de meilleure qualité. Le 1er novembre 1775, les quatre faisceaux rayonnaient dans le ciel de Normandie, améliorant le difficile métier de marin. A cette époque, la vie des premiers gardiens de phare n’était pas de tout repos, ils acheminaient, à dos d’homme, le charbon ou le bois (charges atteignant 60 à 65 kg), par des escaliers souvent balayés par la pluie. En haut, l’espace restreint et le manque de recul faisaient que l’on risquait d’être grillés par le feu ou bien encore de passer par-dessus une balustrade précaire. Les lanternes qui se trouvaient à l’air libre, obligeaient les hommes, les jours de tempête, à se battre contre le vent pour entretenir la flamme. Une fois redescendus ce n’était guère mieux, les logements attenant comportaient des cheminées qui tiraient mal, si bien que les gardiens et leurs familles se trouvaient enfumés au point d’y laisser leur vie comme cela faillit arriver à un couple au phare de la Hève.
Après les premiers balbutiements, les améliorations des systèmes d’éclairages et le confort des gardiens progressèrent jusqu’à nos jours.
La Hève
En, 1781 la houille fut supprimée au profit d’un système à seize réflecteurs sphériques allumés par des lampes à mèche plate, puis vint en 1845 l’appareil lenticulaire d’Augustin Fresnel. En 1893, le phare sud devint le premier phare électrifié de France.
Rendez-vous privilégié des Havrais, les phares de la Hève reçoivent de nombreux visiteurs où l’on vient en tramway pour une promenade dominicale. Après avoir fréquenté un des deux restaurants, on va admirer du haut des tours, la vue sur le Havre, la baie de Seine, la campagne cauchoise et les rivages du Calvados. Durant les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, les deux phares disparurent. Malheureusement au-delà des feux, c’est également l’alignement qu’ils constituaient avec le clocher de Notre-Dame de Grâce, que perdirent les marins. Leur renaissance eut lieu après la guerre dans l’actuel phare de la Hève, à Sainte-Adresse, dont le feu domine la mer de 123 mètres.
L’Ailly
C’est à cause de l’érosion des falaises par la mer, ainsi que par les eaux de pluie, que l’on décida la construction d’un deuxième phare, inauguré en 1899 et placé 90 m en recul des falaises. Sa brève carrière prit fin en 1944, lorsque les Allemands le minèrent durant leur retraite (20 % environ des ouvrages de signalisation des côtes de France subirent un sort identique).
Faute de moyens pour construire un troisième phare, c’est l’ancêtre du XVIIIe siècle, qui, modernisé, reprit sa fonction jusqu’en 1958, date de la mise en service d’Ailly 3, actuel phare culminant à 105 m. Quatre années plus tard, le premier phare de l’Ailly tombait au pied de sa falaise, à jamais oublié des hommes
Gatteville
C’est le seul survivant des quatre premiers phares normands, il occupe aujourd’hui les fonctions de sémaphore pour la Marine Nationale et coule des jours paisibles aux côtés de son « Grand Frère » qui le domine du haut de ses 75 mètres.
En effet, comme pour les trois autres, Gatteville montra vite ses limites, d’une part par la faiblesse de sa source lumineuse mais surtout par son manque d’élévation (25 m). Un nouveau projet conçu par Monsieur Delarue, ingénieur du Corps Royal des Ponts et Chaussées, vit le jour en 1829. En juin de cette année, intervient la pose de la première pierre, pièce centrale d’un diamètre de 1,40 m sous laquelle on déposa une boîte contenant des pièces d’or et d’argent ainsi qu’une plaque commémorative. Ce morceau de granit est toujours visible au centre du phare lorsque l’on y pénètre.
Il s’agissait bien d’un événement. Le comte d’Estourmel, gentilhomme de la chambre du Roi Charles X et préfet du département de la Manche, fit le déplacement pour y prononcer un discours magnifiant l’élévation de cette colonne qui allait devenir le plus haut phare de France, avant que celui de l’île Vierge en Bretagne ne le dépasse de deux malheureux mètres.
Cinq années furent nécessaires pour finir l’ouvrage. Cette tour est constituée de deux tubes de pierre, l’un central et cylindrique l’autre extérieur et conique, entre lesquels s’interpose l’escalier. Des palans permettaient de hisser à l’intérieur du tube central les nombreux blocs de granit (11 000), utiles à sa réalisation.
Si l’on comptabilise celles de la lanterne, Gatteville a 365 marches autant que de jours dans l’année, éclairées par 52 fenêtres, autant que de semaines. Contrairement à la légende, on ne trouve pas 12 fenêtres par rangée, autant que de mois, mais bien sûr quatre fois treize pour faire le compte. Il faudrait prendre beaucoup de recul ou monter sur le toit des habitations des gardiens pour apercevoir ce treizième mois !
L’ingénieur Delarue n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, il acheva en 1835 le phare de Goury à la Hague, pointe ouest du Cotentin. Ce magnifique phare en mer, dont la construction est un véritable exploit technique, comparable à celui réalisé pour les phares bretons. Il n’y eut aucune victime, contrairement à Gatteville où la mort de deux ouvriers fut à déplorer.
Le débarquement allait épargner de justesse ce grand phare de Gatteville. Conformément aux consignes, les dix soldats allemands chargés de sa destruction, disposèrent les charges aux différents niveaux, mais redoutant d’y laisser leur vie, à cause de la brièveté du système d’allumage, ils se contentèrent de détruire les optiques avant de s’enfuir en civil vers Cherbourg.
L’évolution amène l’automatisation progressive des phares et la centralisation des alarmes. Le métier de gardien de phare, tel qu’il est présent dans l’imaginaire collectif, s’éteint doucement.
Augustin Fresnel
C’est le 10 mai 1788 que naît Augustin Fresnel à Broglie dans le département de l’Eure. Après des études à l’école des Ponts et Chaussées, il obtient le titre d’ingénieur. Sa prise de position royaliste, contre Napoléon lors de son retour de l’île d’Elbe, lui vaudra d’être mis à l’écart, temps qu’il consacrera à l’étude de la diffraction de la lumière. En 1820, réhabilité, il présente sa première lentille aux membres de la commission des phares. Après un essai sur l’observatoire de Paris et sur l’Arc de l’Etoile, aujourd’hui Arc de Triomphe, il est décidé à en équiper le phare de Cordouan à l’embouchure de la Gironde. Pour la première fois, on canalisa véritablement le rayonnement des feux et on diminuait considérablement les pertes. Cette découverte révolutionna définitivement le domaine de la pharalogie. Son application s’étendit au monde entier et reste toujours d’actualité. Sur la fin de ses jours, il mit au point un système à feu fixe rythmé par des éclats, pour permettre de différencier les phares entre eux. Augustin Fresnel meurt le 24 juillet 1827 des suites d’une longue maladie.
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